Quelles menaces pèsent de nos jours réellement sur les entreprises européennes en matière de contentieux liés à l’emploi ?
Lorsque l’on évoque l’assurabilité des risques d’entreprises liés aux discriminations, aux harcèlements ou aux licenciements abusifs, il est souvent fait référence aux seuls expositions anglosaxonnes en générale et nord-américaines en particulier. Il est vrai que les sommes records atteintes Outre-Atlantique tant en matière du nombre de plaignants d’une même action de groupe (jusqu’à 1,5 million dans la class action menée contre Walmart) qu’en ce qui concerne les montants de dommages et intérêts alloués (250M$ infligés à Novartis) ont tendance à focaliser les craintes sur le pays de l’Oncle Sam.
Sans chercher à minimiser cette exposition majeure aux USA (et particulièrement en Californie), il serait néanmoins très imprudent d’en déduire qu’une société implantée en Europe se trouve pour autant à l’abri de ce type de litiges.
La prise en compte des enjeux sociaux et le concept de bien-être au travail n’apparaissent plus comme des principes abstraits de bienveillance managériale mais comme des directives strictes devant guider les politiques de gestion des ressources humaines dans la prévention, l’identification et le traitement de toutes dérives et toutes atteintes à ces valeurs.
Renversement de la charge de la preuve en matière de discrimination salariale (charge à l’employeur de démontrer qu’un écart de salaire relevé entre deux salariés de profil comparable n’est pas issu d’une mesure discriminatoire), publication d’index de parité homme-femme dont le score insuffisant peut le cas échéant, au-delà des sanctions financières prévues, disqualifier l’entreprise à toute participation à des appels d’offres de marchés publics, activisme renforcé des syndicats et associations de défense dans la constitution d’actions collectives…telles sont les tendances observées sur nos marchés.
A cela, il convient de garder en mémoire le renforcement des sanctions en cas de reconduction abusive de CDD, d’utilisation inappropriée de CDI ou encore l’usage parfois détournée des ruptures conventionnelles alors que des griefs avaient préalablement été invoqués.
Les frontières entre le stress et le harcèlement moral sont devenus extrêmement fragiles car incertaines du fait de la sensibilité des ressentis de chacun et de la fragilité de la séparation entre vie professionnelle et vie privée, de la dématérialisation croissante de nos outils de travail, de l’émergence des réseaux sociaux et du télétravail empiétant géographiquement dans les sphères privées.
Notre actualité met des mots sur des maux : après le burn-out (épuisement professionnel), a émergé le bore-out (démotivation par l’ennui, mise au placard) puis le brown-out (perte de sens dans le travail, déconnection aux valeurs personnelles).
Les inspecteurs du travail et les juges n’hésitent plus à reconnaître le caractère pénalement répréhensible de certains abus allant jusqu’à poursuivre et condamner des dirigeants ou des entreprises prises en qualité d’employeur personne morale (en cas de harcèlement managérial ou institutionnel) sur la base de l’incrimination d’homicide involontaire.
L’obligation de sécurité se conjugue avec le devoir de vigilance pour imposer aux responsables d’anticiper par la mise a jour des documents d’évaluation de risques (y compris psycho-sociaux) et des plans de vigilance tous risques d’atteintes aux droits humains, que cela soit au sein des filiales mais aussi parmi les sous-traitants ou encore chez les fournisseurs avec lesquels existent des relations commerciales établies.
L’étendue de la liberté d’expression et de la protection des données personnelles du salarié varient énormément selon les pays, ce qui rend la centralisation des procédures de ressources humaines parfois périlleuse si l’on ne tient pas compte des contraintes imposées par les différentes législations locales.
La subjectivité des préjudices invoquées (tel que le préjudice d’anxiété d’avoir été exposé à une substance possiblement nocive) rend également difficilement mesurable les impacts dommageables à l’heure où le principe de précaution impose une grande prudence.
Le droit à la déconnexion (contrôlable par les traces informatiques laissées sur les serveurs d’entreprises) et la protection apportée aux lanceurs d’alerte viennent compléter les arsenaux juridiques mis à disposition des régulateurs pour détecter toute rupture d’équilibre.
Les pressions grandissantes pour intensifier les campagnes de testing en vue de normaliser les CV anonymes font échos à la démultiplication des cas de discriminations reconnus aux Etats-Unis puis progressivement introduits sur le continent européen (tel que le lieu de résidence d’un candidat).
La délicate gestion du fait religieux en entreprise devient également une préoccupation pressante pour les chefs d’entreprises en proie à devoir trouver le juste équilibre en liberté de culte des collaborateurs et neutralité de l’espace de travail.
Tant par l’impact financier que réputationnel que peuvent représenter de lourdes condamnations en ce domaine, la souscription d’un contrat d’assurance dédié aux réclamations liées à l’emploi (ou aux rapports sociaux) trouve toute sa légitimité. La nécessaire expertise des assureurs spécialisés et de leurs cabinets d’avocats dédiés ainsi que l’externalisation, hors provision de l’entreprise, de la prise en charge de ces contentieux permet en effet de réduire significativement, et avec la confidentialité requise, l’intensité de ce risque au combien évolutif.
Il est d’usage de dire que gouverner, c’est prévoir…
En l’espèce, ne pas se protéger face à ce type d’exposition alors qu’il existe des produits d’assurances spécifiques revient à devenir comptable, et incidemment personnellement responsable, de ce qui pourrait advenir dans un domaine où les menaces demeurent aussi omniprésentes que complexes à anticiper et éradiquer.
